L’optimisme sans masque.
- 27 février 2024
- Posté par : Philippe Gabilliet
- Catégorie : Optimisme
Par Philippe GABILLIET Professeur-associé à ESCP Business School
Auteur de Eloge de l’optimisme. Quand les enthousiastes font bouger le monde, J’ai Lu, 2018.
“Quel dommage que l’optimisme soit si souvent confondu avec sa caricature”, écrit le grand romancier Eric-Emmanuel Schmidt. Par ces mots, il pose clairement la difficulté à légitimer cette notion d’optimisme, si souvent entachée de stéréotypes et d’idées reçues.
Dans nos temps secoués par l’adversité – à l’heure de la distance, du masque et des confinements – l’optimisme ne serait-il donc qu’une naïveté sympathique détachée du réel ?
Serions-nous face à une candeur béate, aveuglée par son espoir en des lendemains meilleurs ?
Les optimistes tenteraient-ils de faire d’un déni de la réalité un bouclier dérisoire contre les coups de boutoir d’un monde tragique ?
La réalité est sans doute plus complexe. Mais pour simplifier, nous dirons que si les plus pessimistes considèrent aujourd’hui qu’avancer masqué, c’est d’abord être masqué, les plus optimistes considèrent au contraire que c’est surtout avancer !
Rappelons que l’optimisme peut toujours être analysé et compris d’un triple point de vue :
1) Il est tout d’abord un biais inné, propre à homo sapiens et transmis par son génome depuis au moins 300.000 ans. Il est le fruit de ce circuit de l’espoir installé d’office à la naissance dans notre système neurocognitif et qui nous rend capable de nous projeter – par la pensée et l’action – dans des avenirs meilleurs. Il partage d’ailleurs la scène avec son complice le nécessaire circuit de la peur, producteur inné du pessimisme d’alerte, de précaution ou de protection, qui nous protège à l’heure de l’incertitude ou du danger.
2) Ces deux circuits innés vont ensuite être paramétrés par la vie, par les forces de structuration à l’œuvre dans toute existence humaine, qu’elles aient pour noms éducation, culture, coups de chance, épreuves inattendues, expériences de la vie – heureuses et malheureuses. Au bout, cela nous donne des femmes et des hommes adultes, dotés d’un caractère plutôt optimiste pour certains, plutôt pessimiste pour d’autres, et parfois même suffisamment équilibré pour naviguer avec discernement entre ces deux dispositions.
3) Mais au-delà du potentiel inné et du trait de caractère construit, l’optimisme peut aussi être un choix délibéré, une stratégie assumée, une attitude revendiquée afin de faire face – pour soi ou pour ses autres – aux difficultés et incertitudes de la vie telle qu’elle est. Car vivre en optimiste ne signifie pas pour autant tout positiver et en toutes circonstances. Il s’agit bien davantage de « mettre la réalité sous tension positive », c’est-à-dire de s’entraîner à percevoir le monde tel qu’il est dans son meilleur, à anticiper les évolutions positives possibles et à parier sur la force de l’action, en particulier face à l’adversité et à toutes ses contaminations. Bien évidemment, parier n’est jamais jouer à coup sûr. Quiconque parie accepte également l’éventualité de perdre. Mais quelle serait l’alternative ? Le grand romancier Milan Kundera a écrit : « Je préfère vivre en optimiste et me tromper que vivre en pessimiste pour la seule satisfaction d’avoir eu raison ».
A l’heure de l’épreuve collective – et celle que nous traversons aujourd’hui est loin d’être la pire de notre Histoire – le danger a rarement résidé dans un trop plein d’espoir, de volontarisme ou d’enthousiasme. Face aux difficultés, nos pires ennemis restent le doute, le découragement et le renoncement, nourris de fatalisme sur le présent et d’un sentiment d’impuissance sur l’avenir.
Dès lors, comment rebrancher un individu, un collectif de travail, une communauté ou une nation sur son énergie d’optimisme ? Essentiellement en regardant le monde sans masque, c’est-à-dire avec lucidité et confiance ; afin d’y repérer tout ce qui constitue nos forces et nos ressources, nos marges de manœuvre et de libre-arbitre, ainsi que toutes nos idées de solutions temporaires face aux difficultés, même si ces solutions sont souvent partielles ou imparfaites. A l’image même de la vie, la vraie !