Apprendre plaisir ou souffrance ?
- 27 décembre 2017
- Posté par : Gabriel Jarrosson
- Catégorie : Apprentissage
« Si l’ennui était mortel, l’école serait un cimetière », disait l’écrivain anglais et ancien Francis Bacon. Déjà… au XVIe siècle.
L’apprentissage est certes proportionnel au temps que l’on consacre à apprendre. Cela est connu mais une autre variable perturbe l’apprentissage, voire empêche d’apprendre : l’attention ou plutôt l’inattention. À laquelle on ne prête pas toujours assez attention. Plus précisément, l’acquisition de connaissance est proportionnelle au temps multiplié par l’attention.
Or donc, l’école gère très bien le temps. La première absence du plus inattentif des élèves est immédiatement enregistrée, communiquée, sanctionnée. Mais l’attention ? Le défaut d’attention n’est nullement enregistré, encore moins sanctionné. Dormez en paix, cancres rêveurs, esprits somnolents, créatifs perchés, personne ne s’avisera de contrarier vos vagabondages embrumés et vos benoîtes errances de l’esprit. L’esprit voyage et à l’école seul l’esprit voyage. Bien loin de l’école.
Mais alors, mais alors, comment obtenir l’attention. Nous expliciterons ce que nous avons tous expérimenté : le plaisir et la stimulation fixent l’attention, la souffrance et l’ennui éteignent l’attention. Tous les professionnels qui ont pour métier de s’adresser à un public – cinéastes, dramaturges, scénaristes, publicitaires, journalistes, conférenciers, politiciens, professeurs – se confrontent à la même question : y a-t-il des méthodes pour fixer l’attention plutôt que de l’éteindre. La question n’est certes pas nouvelle puisque les Grecs de l’Antiquité enseignaient la rhétorique et que l’on cite encore le début de la première catilinaire de Cicéron : « Jusqu’à quand, Catilina, abuseras-tu, enfin de notre patience ? »
Eh bien oui, la tradition nous enseigne qu’il existe de bonnes et de moins bonnes méthodes, des bons professeurs et de moins bons professeurs, de bons discours et de moins bons discours. Cela est connu depuis toujours.
Tout se ramène à une question de plaisir ou de souffrance, de stimulation ou de platitude.
Plaisir : partir des situations, du vécu. Comme disait Bill Clinton – un prodige de talent politique dont la moitié n’a pas la moitié – il faut toujours commencer un discours politique en parlant des enfants. Car tout le monde fréquente des enfants, en a ou en veut. L’auditeur va des situations aux idées, pas l’inverse.
Stimulation : humour, rapprochement inattendu, comparaison osée. Un discours sans humour, c’est comme une paella sans ail. Et on ne dit pas « la bonne paella » mais « la bonne n’est pas là ».
Évitement de la souffrance : ne pas attaquer l’ego des personnes, ne pas les évaluer. L’enfer, c’est quand même d’être jugé.
Proscription de l’ennui. L’ennui est absence : absence d’événement, absence de discours, absence de réalité. L’ennui est finalement la négligence (absence de lien) de l’esprit. En toute situation, je me dois à l’autre en priorité, plutôt que de m’absenter dans mon savoir. Désennuyer l’autre, ce n’est se comporter comme le petit monsieur à casquette de son savoir qui le fait visiter mais animer son savoir. Animer de anima : l’âme en latin. Apprendre quelque chose à quelqu’un, c’est être présent à l’autre et donner vie, sa vie, à ce que l’on sait. D’ailleurs Cicéron vit encore dans ses sublimes catilinaires.