Comment tirer le maximum d’une formation e-learning ?
- 23 mai 2016
- Posté par : Bruno Jarrosson
- Catégorie : formation en ligne
La formation en e-learning est-elle efficace ? Peut-elle l’être ? À quelles conditions ?
Avant d’affronter ces questions de façon directe, quelques remarques s’imposent. Tout d’abord le e-learning n’a pas vocation à remplacer complètement les autres formes d’apprentissage. Il y aura toujours des stages, il y aura toujours d’excellents livres à lire, etc. Ceci parce qu’il s’agit de canaux différents dont les effets sur l’esprit sont différents. Le multicanal reste de mise. Certaines personnes ont d’ailleurs un canal privilégié. Certains préfèrent apprendre en lisant, d’autres en regardant des vidéos, d’autres en suivant des formations, d’autres en posant des questions. La diversité des profils et des formes d’esprits induit la diversité des canaux. Dans plusieurs domaines – formation mais aussi divertissement, etc. – on observe qu’un canal nouveau s’ajoute à l’existant sans le faire disparaître.
« Ceci tuera cela », profère l’archidiacre de Notre Dame Claude Frollo – personnage du roman de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris – en brandissant un livre face à la cathédrale. Eh bien non, le livre n’a pas tué les cathédrales. La philosophie n’a pas tué l’esprit religieux. Et contrairement à ce qui a été prédit, le cinéma n’a pas éradiqué le livre, la télévision n’a pas fait disparaître le cinéma, Internet n’a pas envoyé la télévision dans les oubliettes de l’histoire. Les canaux s’ajoutent les uns aux autres quand ils élargissent la fonctionnalité.
D’où une question formulée différemment : le e-learning a-t-il un efficacité ? Et deux questions subsidiaires : puisque l’on parle d’efficacité, il faut la ramener à l’allocation de la ressource temps qui est devenue aujourd’hui une ressource plus rare encore que l’argent. Apprendre en e-learning, est-ce une façon efficace d’apprendre du point de vue du temps alloué (par rapport aux autres canaux) ? Deuxième question : quels sont les facteurs-clés de succès qui optimisent cette efficacité ?
Le e-learning a-t-il une efficacité ?
L’acquisition lors d’un apprentissage n’est pas proportionnelle au temps consacré par celui qui y est soumis mais au temps multiplié par l’attention. L’école – tout comme les stages, les conférences, etc. – s’y entend à gérer le temps, voire à contraindre le temps. L’attention, par contre… C’est qu’on ne peut pratiquement pas contraindre l’attention. Celui qui « écoute », qui est censé écouter en fait, donne son attention s’il le veut bien. Il s’agit d’un consentement intérieur qu’on ne peut ni forcer, ni détecter. Et d’ailleurs, l’auditeur éprouve souvent davantage de plaisir que de culpabilité à s’échapper dans ses rêves, son Smartphone ou un bavardage. Il est toujours possible et souvent tentant de distraire son attention. Dieu merci l’esprit voyage, c’est un agrément qu’on ne peut lui enlever.
Nous avons tous fait cette expérience de devoir subir beaucoup un orateur un peu ennuyeux (ou de devoir subir un peu un orateur très ennuyeux ou même de devoir subir beaucoup un orateur très très ennuyeux) et de partir en mode Baudelaire, L’invitation au voyage :
« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »
Bon, assez rêvé, je reprends votre attention, s’il vous plaît ! – Oui mais Baudelaire, tout de même…
Pire encore, nous avons fait cette expérience de trahir un orateur qui ne le méritait pas, qui exposait avec talent des idées intéressantes. C’est que dans notre esprit, la concurrence est forte pour capter l’attention. Et c’est aussi qu’une fois captée, l’attention est infidèle. Nos esprits brillent davantage par leur mobilité que par leur concentration. C’est peut-être dommage, il n’est pas malvenu de le regretter. Mais c’est surtout réel.
Le e-learning peut permettre de renverser ou d’optimiser ce rapport difficile entre l’attention et le contenu. En effet le contenu n’est pas défilant en temps réel comme dans une formation, il est disponible. On peut donc le caler dans ses moments d’attention. Il est avéré qu’il est presque impossible pour l’esprit d’être attentif en continu sur de longues durées. De ce point de vue, la formation classique est assez mal ajustée. Le e-learning au contraire permet de caler l’usage du contenu sur les moments où l’esprit sera attentif.
Règle numéro 1 pour tirer le maximum d’une formation e-learning : ajustez l’apport de contenu sur les moments où votre esprit est attentif.
Cette règle a un corollaire. Il est connu, pour l’apprentissage des langues, que l’on mémorise mieux en découpant le temps en petites durées. Par exemple, on mémorisera mieux en faisant dans la semaine huit fois un quart d’heure d’anglais qu’avec un cours de deux heures, même si cela représente la même durée. Si vous voulez ou devez apprendre un poème par cœur – et quel plaisir ensuite de se le réciter pour soi-même – ce sera plus facile et plus efficace de le faire progressivement en des temps successifs de dix minutes plutôt que de vouloir l’apprendre d’un seul coup en entier, par exemple en une heure. J’ai eu la chance d’avoir pendant trois ans un professeur de Lettres qui demandait à ses paresseux élèves d’apprendre chaque semaine la dictée de la semaine ; après que nous avions eu l’insigne plaisir de faire cette dictée, avec un succès très modéré d’ailleurs. Cet exercice d’apprentissage par cœur rebutait les pré-adolescents rétifs (pléonasme) que nous étions alors. Ce professeur – de la vieille école, comme on dit – prétendait que la mémoire était un muscle qui se renforçait par l’entraînement et que nous luis serions reconnaissant un jour de nous avoir bien entraînés. Et de fait, j’ai souvent eu l’impression – comme tout un chacun, je suppose – que ce dont je dispose de mémoire est un viatique précieux. Même à l’époque de la mémoire déportée et totale que constitue wikipedia. Paix aux mânes de ce professeur qui reçoit encore ma gratitude, quarante-cinq ans après les faits. Qui la reçoit sub specie eternitatis (du point de vue de l’éternité), comme disait Spinoza.
Toujours est-il que pour m’être livré à cet exercice rébarbatif pendant trois ans, j’ai pu constater qu’il valait mieux segmenter les temps d’apprentissage, c’est-à-dire y travailler un peu chaque jour de la semaine.
La règle numéro 1 a donc un corollaire que l’on va nommer corollaire des petits temps : plutôt des temps courts et nombreux que des temps longs moins nombreux. C’est ce que ne permet pas la formation classique avec son format calqué sur celui du théâtre classique des trois unités : unité de temps, unité de lieu, unité d’action. C’est ce que permet le e-learning s’il est conçu de façon classique.
On entend d’ici l’objection. Il n’est peut-être pas possible d’apprendre des choses d’un haut niveau théorique en n’y consacrant que des petites durées. On ne saurait non plus conduire un projet avec des petits temps.
Et certes le e-learning ne répond pas à tout. On conçoit bien qu’on ne va pas former un architecte sans le faire passer par le mode projet qui est essentiel dans ce métier. Le mode projet est sans doute un outil pédagogique différent du e-learning et pour cela complémentaire. Ses modalités, ses objectifs et ses effets sont différents. Mais cela est une autre histoire qui sera contée une autre fois.
Quant à la question du niveau théorique, elle ressortit à la profondeur de l’attention plus qu’à sa durée. On conçoit bien qu’il n’est pas possible d’apprendre quelque chose de théoriquement subtil et élaboré sans une attention très concentrée. Vous ne pouvez pas apprendre les subtilités du calcul intégral et différentiel – une des plus belles constructions de l’esprit humain de mon point de vue non autorisé – sans une attention très concentrée sur une durée longue. Mais une durée qui peut être segmentée et qui n’est donc pas incompatible avec des outils à distance.
L’allocation du temps
La formation met en situation deux ressources, l’attention et le temps, pour accéder à un contenu. Est-ce que l’on peut parler de productivité ? Le e-learning est-il plus productif que les autres façons de former ?
Il l’est potentiellement dans la mesure où il peut faire l’économie des temps d’inattention. Le e-learning peut permettre une gestion souple des temps d’attention et d’inattention. En cela il est potentiellement productif. L’allocation du temps est indissolublement liée à l’allocation de l’attention.
Mais il peut sembler bizarre ou réducteur de parler de productivité pour la formation. En effet, dans le meilleur des cas, on retient 3 % de ce que l’on a écouté. Et si l’on se réfère à l’école – le paradigme professionnel de la formation – on ne peut être qu’impressionné par la médiocrité du résultat. Au regard du temps que nous avons passé à l’école, qu’avons-nous retenu ? Certainement beaucoup moins que 3 % de ce que nous avons entendu. Si on appliquait à l’école une norme de productivité, catastrophique serait l’évaluation.
Savoir et savoir-être
C’est que la formation, tout comme l’école, ne dispense pas qu’un savoir mais aussi un savoir-être. Et ce savoir-être passe par un contact personnel. Nous ne nous souvenons sûrement pas de tout ce que nous ont dit tous nos professeurs, mais nous nous souvenons de personnes et nous portons en nous ces rencontres formatrices et structurantes.
Il est facile d’argumenter que rien ne remplacera la rencontre pour se jauger, se connaître, se renifler. Il est de fait que les chefs d’État qui ont des emplois du temps surchargés et des moyens de vidéo-conférence performants font néanmoins des heures d’avion pour se rencontrer. Quelque chose se joue dans la rencontre face à face qui échappe aux outils de communication. Les ondes ne véhiculent pas tout. Les photons négligent de vrais tons. Beaucoup de savoir, sans doute moins de savoir-être.
Mais le e-learning peut développer un autre savoir-être que la formation classique s’entend à étouffer : celui de l’autonomie dans le désir. Car la cette formation classique fondée sur une triple contrainte – ce que veut le formateur, quand il veut où il veut – est une formidable machine à tuer le désir. Voici ce que Paul Valéry a fait écrire sur le fronton du Trocadéro :
« Il dépend de celui qui passe
Que je sois tombe ou trésor
Que je parle ou me taise
Ceci ne tient qu’à toi
Ami n’entre pas sans désir. »
Si j’arrive sans désir, le trésor se transforme en tombe, la parole va se taire pour moi. Par contre, une formation e-learning fondée sur une triple liberté – ce que je veux, où je veux, quand je veux – maintient le désir, se fonde sur lui et sollicite l’autonomie. Partant avec le moteur du désir, je chemine en développant l’autonomie. Si je puise ce que je veux dans un corpus bien sélectionné, il va falloir choisir, commencer d’un côté plutôt que d’un autre. Et c’est en exerçant des choix que l’on développe son autonomie. Or l’autonomie est d’abord un savoir-être. Un savoir-être recherché par les entreprises.
Dans son livre Je voulais juste vivre la réfugiée nord-coréenne Yeomi Park raconte la scène suivante qui se passe juste après son arrivée en Corée du Sud :
« En Corée du Nord, on nous apprend à tout mémoriser, et la plupart du temps il n’existe qu’une seule bonne réponse à chaque question. Alors quand elle m’a demandé ma couleur préférée, j’ai réfléchi de toutes mes forces pour trouver la « bonne » réponse. Je n’avais jamais appris à utiliser la partie critique de mon cerveau, celle qui émet des jugements raisonnés sur pourquoi telle chose semble meilleure que telle autre.
L’éducatrice m’a dit : « Ce n’est pas si dur. Je commence : ma couleur préférée est le rose. Alors quelle est la tienne ?
– Le rose ! » ai-je répondu sur-le-champ, soulagée qu’on m’ait soufflé la bonne réponse.
En Corée du Sud, j’ai appris à détester la question : « Qu’en penses-tu ? » Qui ça intéressait de savoir ce que je pensais ? J’ai mis beaucoup de temps à commencer à raisonner par moi-même et à comprendre que mes opinions comptaient. Mais après cinq ans d’apprentissage de la liberté, je sais à présent que ma couleur préférée est le vert printemps […]. Je ne copie plus les réponses des autres. »
Nous estimons dans nos sociétés dites développées que l’autonomie des individus et leur capacité de décider en situation de ce qu’ils vont faire est atout pour les sociétés en général et un facteur de performance pour les entreprises. Des entreprises de plus en plus complexes dans un monde de moins en moins simple. Nous sommes convaincus que l’objectif de citoyenneté et d’autonomie que nous voulons atteindre est incompatible avec l’éducation telle qu’envisagée en Corée du Nord où avoir une couleur préférée est déjà un acte de désobéissance.
En amont du e-learning, on trouve un pari sur l’homme, son autonomie et son discernement. Le facteur-clé de succès du e-learning est bien d’actualiser la modernité dans la formation. « Vaste programme ! », comme aurait le général de Gaulle.